[Prix Roblès 2023] Céline Righi – Berline (Michèle)

Céline Righi, Berline, 2022, 80 p.

Résumé :
Dans les années 60, Fernand, mineur de fond, se retrouve coincé au fond de la mine après une explosion. Toute sa vie se déroule devant lui, mais jusqu’à quand restera-t-il dans ce noir absolu ?

Mon avis :
J’ai beaucoup aimé ce court roman qui nous entraîne dans les pensées d’un homme qui n’a pas choisi grand-chose dans sa vie. Une « petite voix » l’encourage ou le désespère et lui y répond comme il peut. La vie des mineurs est décrite sans concession mais sans nostalgie. L’extrême dureté d’une mère est parfois adoucie par une amitié sans faille.

Le monologue fait un peu penser à celui d’une pièce de théâtre. C’est calme et émouvant.

A ce jour, c’est mon roman préféré dans la sélection.

[Prix Roblès 2023] Yann Brunel – Homéomorphe (Pascale)

Yann Brunel, Homéomorphe, 2022, 530 p

Résumé :

Dans un hôpital de la banlieue de Kiev, un vieil homme victime d’une agression, Vladimir P. est admis aux urgences. Interrogé par la police il accuse son fils Dmitri, mathématicien de génie qui vit comme un clochard dans cette banlieue sordide appelée le Quartier.

Dmitri se souvient de son enfance dans le Quartier avec ses parents et son grand frère Ivan qui le protégeait, et de l’accident dont ils furent victimes en 1995, dans lequel sont morts sa mère et son frère.

Dmitri va s’occuper de son père à sa sortie de l’hôpital, avec Marie, une infirmière dont il fut amoureux autrefois. Il veut enfin comprendre ce passé qui le hante.

Avis :
Ce roman est difficile à résumer car il est construit comme un jeu d’échec, comme un parcours mathématique. Pour chaque chapitre une maxime mathématique éclaire le récit (pour ceux qui la comprennent).

Le passé est dévoilé peu à peu mais le mystère de la haine père-fils demeure. Le spectre du frère décédé est omniprésent : c’est Ivan qui raconte toute l’histoire. Le texte est très poétique, la noirceur colle à toutes les pages, à toutes les lignes. On est presque dans le cerveau embrumé de ce mathématicien alcoolique.

J’ai bien aimé le thème du roman, l’ombre du passé qui plane sur tous les personnages, la construction aussi : les événements passés qu’on découvre peu à peu.

Et surtout la merveilleuse symbiose entre le fond et la forme : les longs développements, pesants, alambiqués presque indigestes qui restituent si bien l’état d’esprit de Dmitri.

Yann Brunel réussit à allier poésie et mathématique, poésie et stratégie des échecs. C’est vraiment époustouflant.

[Prix Roblès 2023] Mario Alonso – Watergang (Julie)

Mario Alonso, Watergang, 2022, 222 pages

Résumé :

Ce roman est l’histoire de Paul, un jeune garçon qui vit dans un village perdu au milieu des polders avec sa mère et sa sœur. Paul nous partage son rêve de devenir écrivain, son obsession à noter dans ses carnets tout ce qu’il observe, les personnages qu’il invente, ses journées à courir dans la nature qui l’entoure, son père parti de l’autre côté de la mer, sa sœur adolescente enceinte, sa mère coincée dans son quotidien de travail et de solitude, les gens du petit village qui se connaissent tous.

Ce livre est comme un tableau d’ensemble d’un endroit dont Paul nous fait découvrir les détails, les personnages humains ou non, et les éléments cachés.

Avis :

J’ai bien aimé ce roman, avec son l’ambiance particulière.

On est tout de suite plongé dans l’environnement des polders qui donnent le cadre. On est dans une nature vaste, forte, dont Paul tire beaucoup d’énergie et qui façonne aussi les gens qui y habitent. Et puis il y a l’écriture, à la fois courte, vive presque synthétique, mais en même temps poétique et métaphorique.

L’auteur donne la parole à Paul, mais aussi aux personnages qu’il invente, aux gens autour de lui et même aux lieux. J’ai aimé passer par ces différents points de vue qui donnent du rythme et de la profondeur à l’histoire.

[Prix Roblès 2023] Charlotte Bourlard – L’apparence du vivant (Pascale)

Charlotte Bourlard, L’apparence du vivant, 2022, 130 p

Résumé :

Donner aux animaux morts, l’apparence du vivant, c’est l’art de la taxidermie. La narratrice, jeune femme un peu paumée, apprend les techniques de la taxidermie auprès de Mme Martin, vieille dame très âgée, qui habite avec son mari dans un funérarium. Ils sont d’anciens entrepreneurs de pompes funèbres.

Son autre passion est de photographier les corps nus des personnes âgées. Mme Martin sert de modèle à la jeune femme.

Avis :

Dans ce roman très cru rien ne nous est épargné de la décrépitude du corps vieillissant, ni des gestes professionnels des taxidermistes. On assiste à la « folie » de cette jeune femme qui a une fascination morbide pour la mort, la décomposition des corps. Elle a malgré tout un attachement réel pour la vieille dame à laquelle elle prodigue des soins avec affection.

Il y a aussi de l’humour, très noir, quand elle raconte comment elle capture les animaux pour ensuite les euthanasier puis les empailler.

Un roman « dérangeant » dans notre société jeuniste dans laquelle les femmes ( mais pas que) doivent tout faire pour garder une apparence jeune, la beauté étant associée à la peau lisse et non ridée, flasque, décolorée. Une manière peut être de montrer ce (et ceux) qu’on ne veut pas voir.

[Prix Roblès 2023] Guillaume Lebrun – Fantaisies guérillères (Dominique)

Guillaume Lebrun, Fantaisies guérillères, 2022, 310 p.

Résumé :

Yolande d’Aragon et Jehanne la douzième nous racontent la véritable histoire de Jehanne et le rôle qu’elles jouèrent toutes les deux ainsi que les Guérillères illustres, pour bouter l’Englishe hors des murs d’Orléans, mettre le Dauphin sur le trône de France et sauver le monde.

A tour de rôle, Yolande décrit les motifs qui lui font créer une école de formation de jeunes futures « Jehanne » formées en secret aux exigences militaires et intellectuelles de la cour du roi de France, et Jehanne la douzième nous conte sa jeunesse, sa rencontre avec Yolande d’Aragon et les luttes qu’elle mena pour vaincre l’Englishe et pour débarrasser le monde de l’immonde « maître » des ténèbres.

Avis : La légende de Jeanne d’Arc et du sacre de Charles VII revisitée et surtout portée par une écriture mêlant vocabulaire ancien et moderne, tournures de phrases empruntées aux vieux français et panachées d’argot et d’anglicismes, et tout cela pour raconter la possible apocalypse dans laquelle la terre entière a bien failli disparaître.

Les trouvailles comme les « poèmes amoureux de Jehanne » copiés sur des chansons de Céline Dion, comme la description onirique des exactions des fanatiques religieux, en l’occurrence celles de la Sainte Inquisition et surtout comme la bataille suprême contre les monstres immondes que l’on trouve dans les sagas du « seigneur des anneaux » font un cocktail fantastique, humoristique et étonnant. … Un roman très spécial qui m’a beaucoup plu mais qui peut laisser aussi le lecteur indifférent car il faut avoir envie d’entrer dans cette histoire rocambolesque.

[Prix Roblès 2023] Delphine Saubaber -La fille de la grêle (Pascale)

Delphine Saubaber, La fille de la grêle, 2022, 208 p

Résumé : Marie, 80 ans, décide de mourir dans la dignité. Avant de « partir » elle s’adresse à sa fille Adèle, lui raconte ce que fut sa vie avec ses parents paysans taiseux ( Joseph et Madeleine) et son petit frère Jean, qui était sourd et un peu « simplet ». Elle raconte tout l’amour qu’elle avait pour lui, son impuissance à le protéger de la violence de leur père. Elle sera témoin muette de drames et vivra dans la culpabilité, puis quittera la ferme pour devenir journaliste.

Avis : Dans ce roman il y a de grandes descriptions de la nature, de la vie simple et rude à la campagne, dans la pauvreté malgré tout. Le roman montre combien les enfants s’adaptent à leur vie, Marie dit n’avoir manqué de rien à la ferme.

Le récit pose une question essentielle : que transmettons nous à nos enfants ? Nos enfants ne savent rien de ce que furent nos vies d’enfant et d’adolescent.

Un roman sur la transmission donc. Un roman comme une confession simple et vraie, émouvante. Ce n’est ni gai ni triste ( enfin oui, c’est tragique quand même) , c’est comme çà. Des histoires comme çà on a l’impression d’en avoir lu beaucoup, pourtant le roman est singulier par sa simplicité et sa sincérité. Ce récit est-il autobiographique ? L’auteur est journaliste, comme Marie.