[Prix inter 2020] Notre prix inter !

Cette année particulière ne nous a pas empêchées de participer à notre manière au Prix du livre inter grâce à l’implication de nos membres qui ont tout fait pour se procurer les livres sélectionnés malgré la fermeture de nos librairies…
Le jury du cercle a désigné son livre « préféré » dans cette sélection, sans coup de cœur comme les années précédentes.

Notre choix se porte sur :

Éden de Monica Sabolo

Ce roman évoque les difficultés à l’adolescence de jeunes indiens d’une réserve forestière aux États Unis. Ces jeunes sont en effet confrontés à la puissance du communautarisme et au sentiment de déclassement irrévocable envoyé par la société blanche américaine.
L’âge de tous les dangers va côtoyer le venin du racisme latent et le pillage sans vergogne des réserves forestières pour un profit privé.
C’est, finalement, le roman le plus d’actualité qui a été choisi cette année de confinement.

Les romans qui ont été cités et remarqués dans cette sélection sont, dans l’ordre :

Les services compétents :
Pour le style, l’humour et la connaissance de cette période trouble du délitement du système soviétique.

Propriété privée :
Un vrai petit bijou d’écriture et d’humour grinçant et un tableau sans concession des incohérence du monde « urbain ecolo »

Cora dans la spirale :
Un roman en forme de documentaire sur le monde du travail actuel dans ces sociétés régies par la finance avec une « chute » terrible qui, à elle seule, vous glace sur place.

Un petit mot pour signaler aux libraires sélectionnant ces romans que nous avons tous été déçus par ce choix de romans très égocentriques, à très petit périmètre et, malgré une écriture agréable et remarquée ne nous ont pas fait ni rêver, ni voyager ni nous interroger. Nous avons eu l’impression de fins bâclées pour cause de diffusion rapide ou de sujets et personnages juste effleurés qui ne peuvent pas nous accrocher.
Peut être est-ce le confinement qui a pesé sur ce sentiment de déception général du jury face à des potentialités indéniables mais non exploités ?
Vivement le prix Inter 2021…..

Bonne lecture à tous, il y a des romans forts à découvrir encore.

[Prix inter 2020] Régis Jauffret – Papa (Elise)

Régis Jauffret, Papa, 2020, 208 p.

Résumé :
Régis Jauffret regarde un documentaire sur la Résistance pendant la Seconde Guerre Mondiale, lorsque tout d’un coup, il reconnaît à l’image l’immeuble dans lequel il a vécu petit. Des hommes de la Gestapo emmènent un homme menotté qui ressemble à son père. Est-ce que le souvenir de l’homme, assez banal, peu ambitieux, enfermé dans sa surdité, qui était son père est le bon ? Son père était-il en réalité un héros ?

Mon avis :
Je pense que le fait d’avoir enchaîné la lecture de Love me tender, Le ghetto intérieur et Papa joue dans ce jugement, mais je n’en peux plus des romanciers nombrilistes qui nous racontent leur vie. Peut-être est-ce l’effet du confinement, mais j’ai envie d’évasion et d’histoires inventées.

Ce roman entier est tout de même construit à partir d’une hypothèse bien hasardeuse, c’est-à-dire que son père, très banal dans la vraie vie, aurait pu finalement être un héros. La réponse la plus plausible est quand même que l’homme sur la vidéo ressemble à son père, mais n’est pas son père. Pendant tout le roman, Régis Jauffret essaye de se remémorer le moindre de ses souvenirs avec son père. On arrive quand même à la fin à « je me souviens qu’en hiver, mon père achetait des marrons ». Cela fait peut-être du bien à l’auteur de faire cet exercice de mémoire, mais je trouve cela très prétentieux de penser que ça puisse nous intéresser. Plusieurs fois, j’ai relevé des phrases où il dit que cet exercice est peut-être fait « en vain », ou bien « à quoi bon » continuer cette entreprise… On aurait envie qu’il se soit pris lui-même au mot.

[Prix inter 2020] Jean Echenoz – Vie de Gérard Fulmard (Dominique)

Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard, 2019, 238 p.

Merci aux Editions de Minuit de nous avoir aidées à récupérer un exemplaire de ce livre en période de confinement

Résumé :
Gérard Fulmard, ancien steward, la quarantaine et la bedaine, s’improvise détective privé avec la conviction du dépressif et la chance d’avoir un deux pièces et demi dans le XVIème arrondissement de Paris. Son psychiatre de référence va lui permettre d’exercer ses talents en l’introduisant, pour surveillance, dans un petit parti politique tendance extrême droite.

Avec un humour propre aux désabusés, Les digressions mentales de notre héros nourries par son désœuvrement, vont nous révéler non seulement des faits divers ayant affecté divers quartiers de Paris mais aussi les luttes caricaturales pour le pouvoir au sein du parti qui l’a embauché.

Commentaire :
C’est encore un roman rocambolesque avec, comme caisse de résonance, un homme représentant l’échec à tous les niveaux. Il n’est pas beau, il n’est pas grand, il n’est pas ambitieux, il n’est pas riche mais il a juste la chance d’habiter à Paris et de bénéficier d’une certaine éducation.  Cet anti-héros permet une nouvelle fois à l’auteur de nous entraîner dans un délire de faits divers et de calculs politiques complètement burlesques et l’humour qui s’en dégage est indéniable.

Par contre, sur la vision du monde politique, c’est vraiment trop « attendu » et l’empilement des caricatures m’a laissé l’impression que l’auteur s’adresse à un petit club de suiveurs et ne fait guère d’effort pour pousser un peu la réflexion. J’ai fini le livre avec la sensation d’avoir écouté un ami se lâchant lors d’un repas arrosé avec l’intention d’épater la galerie.

[Prix inter 2020] Iegor Gran – Les services compétents (Michèle)

Iegor Gran, Les services compétents, 2020, 300 p.

Résumé :
Dans les années 60, Ivanov est lieutenant dans « les services compétents », c’est-à-dire le KGB, à Moscou. Il est sur la piste d’un écrivain dissident, signant d’un faux nom (Abram Tertz) et dont les écrits paraissent en Occident. Il croit dur comme fer en son métier et en l’idéologie soviétique et poursuit ses enquêtes sans relâche.

Mon avis :
Je le dis tout simplement, j’ai adoré.

J’ai adoré le ton de ce roman qui, par le biais de l’humour (noir ?), retrace les méthodes du KGB dans les années 50 et 60. Nous suivons aussi la grande histoire de l’URSS de Khrouchtchev à Brejnev, durant le « dégel » post Stalinien (le vol spatial de Gagarine, la grève à Novotcherkassk, l’explosion de gaz en Ouzbékistan, …).

Les portraits des dissidents (les ennemis du peuple), des juges, des agents du KGB, des politiques et des simples citoyens sont retracés avec toujours cette ironie qui permet de tout dire. Et pourtant, derrière le sourire qui nous vient aux lèvres à chaque chapitre, la vérité est au rendez-vous avec la cruauté, l’injustice et la répression féroce que nous connaissons tous.

L’auteur est le « petit Iegor » qui nait au cours de cette chasse à l’homme.

Un roman caustique et édifiant à lire absolument.

[Prix inter 2020] Santiago H. Amigorena – Le guetto intérieur (Pascale)

Santiago H. Amigorena, Le guetto intérieur, 2019, 114 p.

Résumé :
Vicente Rosenberg, juif polonais, a fui Varsovie et a émigré en Argentine, à Buenos Aires, quelques années avant 1939. Il a laissé à Varsovie, sa mère, son frère, une partie de sa famille. Il reçoit régulièrement des lettres de sa mère auxquelles il ne répond pas toujours. Il est marié à Rosita et il a 3 enfants. Il apprendra la réalité du ghetto de Varsovie par quelques lettres de sa mère, et la presse européenne, avec beaucoup de retard. 

Mon avis :
Le ghetto intérieur de Vicente fait écho au ghetto de Varsovie. Le roman montre comment la culpabilité va s’emparer de lui et détruire son quotidien petit à petit. Comment lui serait-il possible de vivre sereinement en Argentine, pendant que sa famille lutte pour survivre dans le ghetto ? Un roman très court, très puissant, sur un sujet qui ne nous laissera jamais indifférents. 

[Prix inter 2020] Fabrice Humbert – Le monde n’existe pas (Michèle)

Fabrice Humbert, Le monde n’existe pas, 2020, 246 p.

Résumé :
Adam Vollmann, journaliste au New Yorker, voit soudain s’afficher sur les écrans de Time Square, le visage d’Ethan, accusé de viol et de meurtre. Vingt ans auparavant, ils avaient fréquenté le même lycée dans une petite ville triste et conformiste du Colorado, Drysden. Adam a un souvenir précis de leur première rencontre mais surtout il se rappelle d’un événement entre eux lui faisant comprendre qui il était vraiment. Il décide d’enquêter sur cette affaire et se rend à Drysden avec la certitude qu’Ethan n’est pas coupable.

Mon avis :
Après ma lecture de « 404 », je retrouve un roman qui évoque les « fake news » mais celui-ci m’a beaucoup plu. L’auteur s’interroge, plus souvent qu’il ne le voudrait, sur la réalité des événements, sur les manipulations de l’opinion, sur la fabrique d’une réalité qui n’est peut-être pas vérité.

Les histoires s’entremêlent au cours du roman. L’histoire d’un adolescent qui découvre son homosexualité et qui souffre du rejet des autres, l’histoire d’un homme puissant qui manipule l’opinion, l’histoire de gens simples mais avides et menteurs, et aussi l’histoire d’un homme qui n’a jamais rien fini.

L’écriture est belle, j’ai lu ce roman en 24h car le ton est lumineux, fluide et précis, notamment lors de la description des états d’âmes du narrateur, homme plein de craintes réelles ou imaginaires. Pour celui-ci, « le monde n’existe pas ». Les références aux scénaristes célèbres, aux auteurs (de la mythologie à Citizen Kane), aux journalistes qui ont raconté des vérités (ou inventé des histoires !) apportent des arguments aux réflexions du journaliste mais ne gêne en rien au récit.

De plus, l’enquête nous tiens en haleine jusqu’à la fin.

[Prix inter 2020] Anne Pauly – Avant que j’oublie (Dominique)

Anne Pauly, Avant que j’oublie, 2019, 234 p.

Résumé :
A la mort de son père, l’auteur nous raconte toutes les émotions qui l’envahissent au fur et à mesure du temps qui passe.

Dès l’annonce du décès, quelques heures après, quelques jours après, quelque temps après vont venir les ressentis, les souvenirs et le vide de l’absence définitive. Ce père, alcoolique et violent, va être petit à petit réhabilité par sa fille qui va prendre le temps de rentrer dans son univers avant de le laisser partir.

Commentaire :
Une écriture très directe et très moderne pour analyser les sentiments qui se bousculent lors de la mort du père dans la tête de sa fille.

C’est un petit livre qui nous prend par la main pour nous expliquer que la mort s’avère être une absence définitive et qu’il faut absolument essayer de comprendre celui qui a disparu pour pouvoir continuer à vivre sans un grand vide et sans culpabilité.

J’avoue que les sentiments de cette fille pour son père me paraissent vraiment exagérés par rapport aux souvenirs relatés et la violence qu’il a exercé pendant des années sur sa femme devant ses enfants rendant vraiment glauque l’ambiance familiale.

J’ai donc bien aimé le rythme du livre et les réflexions décrites mais je n’ai pas été très sensible à la douleur exprimée.

[Prix inter 2020] Monica Sabolo – Eden (Sophie)

Monica Sabolo, Eden, 2019, 288 p.

Résumé :
Des événements tragiques ont lieu : agressions, choses étranges dans la forêt qui borde cette petite ville, jusqu’au jour où Lucy, une adolescente, est retrouvée nue, agressée, et semble se murer dans un silence définitif.

Nita, une autre adolescente nous raconte cet été et leurs vies : les amitiés qui se font et se défont, les garçons, le Hollywood, les angoisses sourdes d’une jeunesse qui sent que quelque chose est en train de changer dans leur monde et que l’on est loin, bien loin de cet Éden paisible et serein qui fait venir des touristes d’un peu partout chaque année… Nita cherche à découvrir la vérité et sa vérité.

Mon avis :
 « La vie est violente, nous sommes des proies ou des prédateurs, ou plutôt nous sommes les deux à la fois, chacun notre tour. »
J’ai bien aimé ce livre entre violence et poésie même si parfois je suis restée à la lisière de la forêt.

[Prix inter 2020] Vincent Message – Cora dans la spirale (Pascale)

Vincent Message, Cora dans la spirale, 2019, 464 p.

Résumé:
Cora est une trentenaire parisienne, mariée à Pierre, et maman de la petite Manon. Elle travaille dans une grande compagnie d’assurances Borelia. Elle apprécie de travailler avec Edouard, son N +1, intelligent, cultivé et profondément humain.
Des restructurations dans l’entreprise l’amènent à travailler avec Franck, arriviste et sans scrupules. Elle devra s’adapter aux changements profonds de son entreprise : le déménagement du siège à La Défense, de nouveaux types de management.


Mon avis :
Ce récit est très proche de la réalité, il a presque des aspects documentaires. Il dénonce le management destructeur des grandes entreprises, qui place le profit au dessus de la valeur humaine. Certains personnages m’ont semblé peu crédibles (le réfugié malien en particulier). Il y a une certaine « lourdeur » dans la narration, malgré une belle écriture.

[Prix inter 2020] Constance Debré – Love me tender (Elise)

Constance Debré, Love me tender, 2020, 139 p.

Résumé :
Ce roman est une auto-fiction très inspirée par la vie de son autrice. A 47 ans, Constance s’est séparée de son mari, elle a quitté sa profession d’avocat et elle se met à aimer les filles. Son ex-mari, Laurent, refuse de la laisser voir son fils : l’affaire va se régler en justice, mais elle n’aura pas de dénouement avant deux ans. Deux ans, c’est très long lorsqu’une mère est privée de voir son enfant.

Constance vit de plus en plus dans le dépouillement : elle donne ses meubles, ses affaires, finit par lâcher son appartement. Elle nage tous les jours et enchaîne les histoires avec des filles.

Mon avis :
Le style est aussi dépouillé que la vie de Constance. Ce sont des phrases sèches, rapides, le livre se lit très vite. Il y a un côté parisien et même germanopratin assez agaçant, on se dit qu’on n’a pas grandi dans le même milieu, quand elle raconte son lycée à Henri IV, ses habitudes au café de Flore, et qu’elle « découvre » au cours du roman le 18e et le canal de l’Ourcq…

Passé ce petit agacement, j’ai bien aimé lire ce livre. L’écriture m’a plu, même si c’est quand même assez court comme récit.